- fr
- nl
Il y a 3 ans jour pour jour, Céline Fremault, alors ministre bruxelloise de l’environnement, annonçait dans la presse son intention de développer une stratégie bruxelloise en faveur des pollinisateurs . Apis Bruoc Sella saluait à l’époque cette initiative avec satisfaction ! Elle offrait à Bruxelles la possibilité de s’illustrer comme capitale européenne ambitieuse et consciente des enjeux environnementaux prioritaires.
Mais, aujourd’hui, où en est-on ? Le constat est triste, voir inquiétant : quasiment nulle part ! Et Bruxelles est aujourd’hui à la traine, voire recule dans ses ambitions.
Alors que la stratégie nationale est toujours en phase de préparation, la Région de Bruxelles-Capitale ne s’est finalement pas dotée de sa stratégie en faveur des pollinisateurs et, si certaines actions visant une meilleure connaissance des abeilles sauvages sont en cours, les mesures permettant leur préservation peinent malheureusement à se mettre en place.
En 2017, on nous annonçait une stratégie en quatre axes : un atlas des abeilles sauvages, un cadastre des ruches d’abeilles domestiques, une évaluation des ressources alimentaire couplée à une politique active en faveur des ressources nectarifères, et une communication ciblée visant à faire connaître les abeilles au grand public. 3 ans plus tard et après le passage aux urnes, où en est la Région de Bruxelles-Capitale ? Petit tour d’horizon des mesures prises et des effets d’annonce !
Alors oui, l’atlas des abeilles sauvages à Bruxelles annoncé par l’ancienne ministre est en phase de finalisation. Financés par Bruxelles Environnement, les équipes de l’ULB et des naturalistes passionnés (de Natuurpunt et de Natagora) s’activent à identifier sur le terrain la diversité des abeilles sauvages dans le cadre du projet Wildbnb.brussels. Ce travail de fourmi a conduit à identifier plus de 200 espèces différentes d’abeilles sauvages sur les quelques 160 km² qui composent notre territoire ; c’est plus de la moitié des espèces belges ! D’autres études de Bruxelles Environnement sont en cours, comme Streetbees qui étudie les abeilles terricoles présentes sur les trottoirs et a permis d’identifier plus de 150 bourgades en voiries, ou Kauwbees, qui recensera spécifiquement les abeilles du site naturel du Kauwberg, à Uccle. La crise sanitaire n’a eu qu’un impact limité sur ces projets opérés par des passionnés d’abeilles. Il n’en va pas de même malheureusement pour la Quinzaine des abeilles et pollinisateurs « Bruxelles bourdonne », événement phare de la communication « abeilles » de la Région, qui a purement et simplement été supprimée après 2 ans, pour être intégrée dans un « mois de la nature », lui-même annulé en 2020. Planifiée en mai, sa réalisation s’est révélée impossible compte tenu des mesures de confinement.
Mais quid des autres mesures soutenues à l’époque par la ministre Fremault ? Quelle continuité dans le travail d’élaboration d’une stratégie régionale ? La réponse est en demi-teinte ! Si la stratégie abeilles semble toujours dans les cartons de Bruxelles Environnement et dans les objectifs du Ministre Maron en poste depuis maintenant un an, sa concrétisation parait encore lointaine. Et aucune action concrète n’a encore émergé sous cette législature, malgré un intérêt évident des Bruxellois.es et de leurs représentants parlementaires pour cette question.
Le cadastre officiel des ruches d’abeilles domestiques est toujours évoqué, mais le calendrier n’est pas précisé et il n’y a toujours aucune trace d’un cadre règlementaire qui en fixerait les conditions et en garantirait la qualité. En complément, une réflexion sur les ressources florales nécessaires au maintien des pollinisateurs est souvent annoncée mais aucune étude des ressources alimentaires n’a été réalisée malgré l’importance capitale de celle-ci. Si cette réflexion existe, elle se développe sans véritable opérationnalisation ou mobilisation des acteurs concernés (particuliers, communes, institutions régionales,…). Il y a malgré tout des Communes qui ont choisi d’avancer en développant des projets spécifiquement dédiés aux abeilles avec le soutien financier de la Région, comme Schaerbeek et Uccle avec qui Apis Bruoc Sella collabore. Mais il n’y a pas de politique de plantations et de renforcement des ressources à l’échelle régionale.
Dernier fait en date, le rétropédalage du Ministre Maron sur la question de la suppression des ruches des terrains de Bruxelles Environnement dans les zones Natura 2000. Alors que cette mesure avait été suggérée par le Conseil supérieur bruxellois de la conservation de la nature depuis 2017, puis annoncée en commission parlementaire par le Ministre depuis l’automne dernier ou dans la presse en janvier, la SRABE (Bruxelles m’abeilles) annonce qu’Alain Maron affirme désormais, « ne pas interdire les ruches dans les zones Natura 2000 ». D’interdiction générale en Natura2000, sur terrains privés, il n’en était toutefois pas question : même si Bruxelles Environnement a régulièrement évoqué le besoin de mieux cadrer ces pratiques, le ministre n’évoquait en séance que le retrait des quelques ruches des terrains publics.
On ne peut certes pas minimiser l’impact de l’installation des abeilles domestiques sur les autres pollinisateurs dans les sites Natura 2000 dédiés à la conservation de la biodiversité, mais cette question n’est que la partie émergée de l’iceberg : quand bien même on y interdirait toutes les ruches, cela concernerait environ 10-15% des ruchers (selon les chiffres de l’inventaire participatif non exhaustif mené en 2015 sous la direction du Pr N. J. Vereecken) sur un territoire correspondant à presque 15% du territoire de la Région… Focaliser le débat sur la question de l’installation de ruches d’abeilles domestiques sur cette portion spécifique du territoire a ses limites, et il est possible que ce débat trouble les relations entre des acteurs qui ont autrement tous le même combat (la déminéralisation de la ville, la lutte contre les pesticides, l’adaptation aux changements climatiques…) ! Mais le revirement du ministre a de quoi soulever les inquiétudes des défenseurs de la biodiversité et des abeilles sauvages, car il donne l’impression de bafouer les intérêts de la nature et du bien commun.
Les bonnes récoltes de miel de ce printemps ne doivent pas faire oublier que ce dont la Région de Bruxelles-Capitale a désormais besoin c’est d’une véritable vision pour la nature urbaine. Et cela passe par un programme clair pour préserver les pollinisateurs sauvages ! La priorité doit être mise à la fois sur la végétalisation et l’aménagement écologique de la ville (tant au niveau du choix des essences, que de l’augmentation des surfaces végétalisées (plans canopées, création de microparcs, déminéralisation des espaces publics,…)), mais passe aussi par un cadrage de l’activité apicole (activité « de loisir » selon les apiculteurs eux-mêmes), afin qu’elle soit compatible avec l’existence des pollinisateurs sauvages (dont plusieurs espèces sont même sur liste rouge européenne !). Pour rappel, la concurrence entre pollinisateurs domestiques et sauvages porte sur l’accès aux ressources florales, mais d’autres problèmes sont aussi identifiés comme la transmission de maladies des abeilles domestiques vers les abeilles sauvages ainsi que la perturbation des réseaux de pollinisation et des communautés végétales, deux thématiques dont les apiculteurs ne parlent malheureusement pas dans leur mémorandum pour l’apiculture bruxelloise. Ces éléments sont connus et communiqués depuis plusieurs années par les scientifiques et relayés par les associations naturalistes. Et, quand bien même le doute subsisterait, le principe de précaution devrait prévaloir plus que tout autre intérêt, comme plusieurs villes européennes l’ont déjà compris.
Cela fait plusieurs années qu’on l’appelle, cela fait 3 ans qu’elle est annoncée. Il est plus que temps de doter Bruxelles d’une véritable stratégie « abeilles et pollinisateurs » !